Conversations with the President

Prof. Martin Blais

Episode Summary

Entretien du président avec Martin Blais, professeur titulaire au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal. Ils discutent de l’homophobie et de la transphobie et du rôle qu’a joué la loi dans leur émergence.

Episode Notes

Martin Blais est sexologue et sociologue, professeur titulaire au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Il est aussi chercheur régulier au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et l’agression sexuelle (CRIPCAS).

Il s’intéresse au bien-être et à la santé des personnes LGBTQ+ et cherche à identifier les facteurs qui les aident à s’épanouir, à développer une image positive d’elles-mêmes ainsi que leur pouvoir d’agir, comme l’estime de soi, l’authenticité, la résilience et le soutien social. 

Ils discutent de l’homophobie et de la transphobie et du rôle qu’a joué la loi dans leur émergence. 

 

Episode Transcription

MBlaismp3

L’indicateur de temps [00:00:00] indique un mot incompris ou incertain. 

__________________________________________________________________________

This is Conversation with the President, presented by Canadian Bar Association.

Intervieweur :      Bienvenue professeur Martin Blais à Conversation avec le président. Je suis Steeve Bujold, président de l'Association du Barreau canadien. Il me fait vraiment plaisir que vous ayez accepté mon invitation de vous joindre à nous et de nous partager vos connaissances qui sont nombreuses, donc bienvenue. 

M. Blais :           Merci pour l'invitation, vraiment ça me fait plaisir d'être avec vous.

Steeves Bujold :      Avant qu'on débute, je vais faire un survol très rapide de votre carrière qui est très impressionnante. Vous êtes sexologue et sociologue pas fesseur titulaire au département de sexologie l'Université du Québec à Montréal, mieux connu sous l'acronyme UQAM, et titulaire de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres. Vous êtes un chercheur régulier au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles, connu sous l'acronyme CRIPCAS. Vous vous intéressez au bien-être et à la santé des personnes LGBTQ +. Vous cherchez à identifier les facteurs qui les aident à s'épanouir et à développer une image positive d'elle-même, d’iel même, ainsi que leur pouvoir d'agir comme l'estime de soi, l'authenticité, la résilience et le soutien social. Donc, j'ai bien hâte de vous entendre. Ma première question : d'où vous vient l'intérêt pour ces sujets scientifiques?

M. Blais :           Excellente question. Moi-même, comme homme gai, dans mon parcours scolaire j'ai été très peu en contact avec les questions de genre et de sexualité. J'ai fait mon baccalauréat en psychologie et je n'ai jamais entendu parler d'orientation sexuelle, d'identité de genre, sinon qu’à travers des classifications psychiatriques, par exemple. Ils abordaient les choses, bon c'était il y a un certain temps, déjà l'homosexualité était sortie des grands manuels de classifications, mais quand même dans la formation on continuait de référer à ce passé. Alors, disons que ce parcours je l'ai trouvé un peu insatisfaisant, à cet égard en tout cas. Je suis allé ensuite faire la maîtrise en sexologie en me disant : je vais certainement en entendre parler davantage de ces contenus. Ça a effectivement été le cas, puis je l'ai déjà dit sur d'autres tribunes, j'ai été étonné de lire des textes sur les thérapies de conversion dans mon parcours scolaire, académique. Je me suis dit : ah bon! OK, quand même. 

                            Puis, finalement, je suis allé faire mon doctorat en sociologie en me disant que peut-être que moi, je devais me familiariser avec les approches qui nous amène à faire un pas de côté. Peut-être de s'intéresser davantage à la manière dont on cadre les enjeux, plutôt que de plonger dans des enjeux, en perdant un peu le recul qui est nécessaire en se disant : coudon, ce qu'on est en train de dire ça sort d'où? C'est quoi les fondements du regard que l'on porte? J'y reviendrai probablement.

                            Bref, un parcours multidisciplinaire, où j'ai un peu cherché des réponses, des informations, des connaissances sur des enjeux de sexualité et de genre, puis un parcours qui m'a en partie amené à en trouver des réponses, mais qui m'a laissé sur ma faim à plusieurs égards. Je m'excuse, je fais de très longues réponses.

S. Bujold :      C'est parfait, merci de la générosité de vos propos. En fait, un peu, et c'est souvent le cas, c'est un peu une quête personnelle qui vous a amené à découvrir un domaine qui vous passionne, je présume, étant donné que vous êtes maintenant professeur titulaire dans le domaine. La grande question que j'avais pour vous c'est : pourquoi on s'intéresse autant à la sexualité et que cela nous définit autant comme humains, comme personne? La grande question.

M. Blais:           C'est vrai que ça nous intéresse beaucoup, la vie sexuelle des autres en particulier, pas juste la nôtre. En fait, c'est vrai que la sexualité a pris vraiment une importance, une importance dans notre imaginaire social. Une importance qui vient du fait qu'elle est tabou, qu’elle est cachée, qu'il y a eu énormément de restrictions. C'est comme si on voulait, face à ce tabou-là, lever le voile, ça pique la curiosité. On veut aussi se comparer, on est curieux de ce que font les gens dans leur intimité, on cherche à savoir si on passe à côté de quelque chose. Ça vaut peut-être la peine de découvrir ce qui se passe dans la vie des autres et de se dire : bien peut-être que moi aussi je peux essayer cela. On trouve cela divertissant, on a juste à voir comment les médias font leurs choux gras vraiment des histoires et des scandales sexuels. Il y a vraiment une composante divertissement, mais aussi tabou, subversion et transgression, dans cet intérêt qu'on a pour la sexualité.

                            Ç’a quand même été très conçu, la sexualité, comme quelque chose ayant un potentiel de subversion, de scandale, de désordre. Tout cela fait que ça nous titille, je pense. 

S. Bujold:      Excellente réponse. Si on y va de façon plus spécifique, je l'ai dit, nos auditeurs sont au courant, et vous l'avez peut-être lu, je suis le premier président de notre association, qui est pourtant plus que centenaire, avec un conjoint de même sexe. La défense des droits des personnes de la communauté 2SLGBTQ+, l'éducation et la démystification auprès de la communauté juridique est une de mes priorités cette année. De là, l'importance de vous avoir parmi nous. Pourriez-vous nous parler dans un contexte historique et social de la répression qui existe encore, de la discrimination et de la difficulté d'accepter la différence de l'autre, que ce soit dans l'orientation, et même aussi maintenant, dans l'identité de genre. 

M. Blais :           C'est clair que le droit a occupé une grande place historiquement. Souvent, on va dire qu'il y a trois grandes racines à l'homophobie et à la transphobie. Il y en a avec lesquels nous sommes assez familiers, donc qui rejoignent un peu nos imaginaires collectifs. Il y a la religion évidemment, donc la religion qui a largement diabolisé la diversité sexuelle et de genre, et la médecine aussi, qui l’a largement « pathologisé. » Donc, la diabolisation d'un côté et la « pathologisation » de l’autre, puis, évidemment, le droit qui a fait de nous des criminels à certaines époques. La criminalisation, c'est la 3e grande source d'homophobie et de transphobie. 

Quand même, historiquement, le droit a établi des attentes, des normes de comportement, des limites en matière de sexualité sur des enjeux extrêmement importants. La question de l'âge au consentement, la régulation de ce qu'est un consentement valide en matière de sexualité, la protection contre les violences sexuelles, aussi avec l'ajout de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre et de l'expression de genre dans les chartes des droits et libertés, ou dans les lois sur la protection des droits de la personne, évidemment, le droit à jouer un très grand rôle. C’est un rôle à double tranchant selon l’époque. Parfois, un rôle qui a contribué à jeter sur nous l’opprobre social, à nous mettre en prison, à faire en sorte que des listes de noms soient publiées dans les journaux jaunes, de personnes qui s'étaient retrouvées dans des bars, dans des sous-sols, qui avaient été arrêtés pour diverses raisons. Mais aussi quand même, un rôle positif à plusieurs égards depuis la décriminalisation de l'homosexualité avec le Bill omnibus de 1969 et les différents changements juridiques qui ont pris de plus en plus d'importance pour nous. 

S. Bujold :      Je n'avais jamais vu cela sous l'angle de ces trois axes-là, la religion, la médecine et le droit, plus particulièrement le droit qui nous intéresse comme organisation. C'est à la fois un outil de répression et un outil de libération, c'est la grande contradiction.

M. Blais:           Oui effectivement, cela a vraiment été un outil de répression et c'est devenu un instrument, j'espère, de libération, de soutien au mieux-être, de régulation des atteintes aux droits fondamentaux. En tout cas, c'est ce que l'on espère et que l'on souhaite. 

S. Bujold :      Exactement, et bien qu'on ait fait de grandes avancées au cours des dernières décennies, comme vous l'avez dit au cours des années 60, pratiquement un demi-siècle, on voit de plus en plus et on dirait que ça s'accélère, et même qu’il y a des données qui ont été publiées récemment par rapport au nombre de projets de loi aux États-Unis qui vise à réprimer ou à enlever des droits aux membres de notre communauté, plus particulièrement aux membres de la communauté trans. Ils sont par centaines, ces projets de loi là en 2023. Quelle est votre vision? Est-ce que c'est un retour de balancier? Est-ce que c'est quelque chose qui a toujours été là, mais qu'on lui attribue plus d'attention? Vous n'êtes pas futurologue, mais quelle est votre vision?

M. Blais :           Oui, j’avoue que ce qui se passe dans le monde, aux États-Unis, mais pas seulement, en Russie et en Europe de l'Est, toute la répression grandissante, des retours en arrière des droits qui avaient été acquis et qui sont supprimés, en fait c'est quand même un peu paniquant. Parce que, derrière tous ces changements ou ces menaces, il y a du vrai monde. Il y a des gens en couple qui ont des enfants et les enfants dépendent de la reconnaissance de leurs parents à plusieurs égards sur le plan légal et sur le plan social. Il y a des gens qui ont besoin de soins et il y a des lois qui sont mises en place pour les empêcher d'avoir ces soins-là. Il y a un moment où les gens paient de leur vie, ils paient de leur qualité de vie, mais aussi, ils paient de leur vie ce type de recul. Alors vraiment, c'est plutôt inquiétant. Quelle leçon doit-on en tirer? Certainement une leçon sur l'importance de rester vigilant.

                            C'est difficile de ne pas voir dans ces reculs un manque de compassion et un manque d'empathie, un manque de respect de base pour des droits fondamentaux au nom d'idéologies particulières. C'est clair qu'il y a un ressac. On voit aussi comment certains de ces discours sont importés au Canada, au Québec. On l'a vu récemment sur la question des drag queens. Je pense que la confusion que les gens font entre la question du genre et la sexualité, quand les gens voient une personne trans, ce qu’ils pensent, c'est cette vieille image imposée par la médecine et la psychologie à une certaine époque, qui nous a dépeints comme des pervers. Alors tout ce qui a l'air de sortir des normes…

S. Bujold :      Des personnes malades, oui.

M. Blais :           Voilà, c'est vraiment cette idée de « pathologisation » qui perdure dans certaines attitudes : « on ne devrait pas exposer les enfants. » C'était à une autre époque et ce ne l’est plus du tout par ailleurs maintenant. Les questions de genre et d’orientation sexuelle en été largement retirées en fait entièrement, pour les questions d'orientation sexuelle. Ce qui reste maintenant pour les classifications psychiatriques, sur la question du genre et pour toute difficulté même en général, c'est la question de la souffrance. Quand il y a une souffrance il faut s'en occuper, mais quand il n'y a pas de souffrance, il n'y a pas d'enjeu et de « pathologisation » là-dedans. Très souvent aussi, ce qui nous fait souffrir n'est pas notre orientation sexuelle, ce n'est pas notre identité de genre, ce n'est pas le fait qu'on soit gai, trans, queer. Ce qui nous fait souffrir c'est le regard que nous impose l'extérieur sur nous-mêmes. Il nous force à nous dire : Ce que tu es n'est pas correct, ce que tu es est un problème, ce que tu es ça devrait resté caché. C'est ça en fait la source de la souffrance. 

                            Quand on voit en fait ce ressac, vraiment je pense qu'on peut y lire au moins une chose, et c'est une tentative de nous remettre à l'ordre, de nous remettre à une place, une place qui devrait rester cachée selon cette perspective. À une place qui est transgressive, potentiellement subversive d'un certain ordre social. Un certain ordre social où les hommes et les femmes sont les deux groupes, il n'y a personne d'autre en dehors de ces deux catégories. Chaque personne doit rester à la place qui lui a été assignée, suivre une trajectoire qui est celle prescrite par la tradition. Il faut qu'un homme marie une femme et une femme marie un homme et c'est le modèle de la famille qui est valorisé.

                            En fait, la violence, l'homophobie, la transphobie, les railleries, tout cela sont des rappels à l’ordre. On se fait dire à travers tous ces débats de retourner dans le placard et de rester caché : ne vous montrez pas, ne vous exposez pas à nos enfants. C'est vraiment cette idée qu'il y a là une menace.

S. Bujold :      On ne veut pas vous voir en quelque sorte. Est-ce que c'est cette norme sociale là qui est en nous, qui est autour de nous et qui est très présente, qui fait en sorte que —là c'est une impression personnelle, vous me corrigerez si ce n'est pas répandu—, mais où il y a une réaction viscérale et profonde chez une bonne partie de la population, lorsque l'on est face ou confronté ou en interaction avec une personne trans, une personne non binaire. Ce qui semble remettre en question cet ordre-là binaire. Là, je vois à notre époque, en 2023, une réaction très très très forte qu'on ne voit pas la plupart du temps lorsque l'on est confronté à une question d'orientation sexuelle, sur laquelle on semble beaucoup plus avancé en termes de — je n'utiliserai pas intentionnellement le mot « tolérance » — en termes d'acceptation et même d'indifférence. Mais ce n'est pas le cas du tout lorsque l'on est dans la diversité de genre. Est-ce que j'ai raison? On perçoit que l'on remet en question cet ordre-là. 

M Blais :           Oui, en fait fort probablement. C'est vrai de dire qu'il y a ce que l'on pourrait appeler une certaine homonormalisation, une espèce de normalisation de l'homosexualité. Alors, pour la reconnaissance de conjoints de même sexe, au Québec, c'est depuis la fin des années 90.

S Bujold :      Exact, les années 2000 oui.

M. Blais :           Ensuite, l'union civile, le mariage en 2005. Donc, quand même, de voir deux hommes ou deux femmes ensemble, c'est relativement passé… on va mettre l'accent sur le «  relativement », parce qu'il y a quand même de l'homophobie qui cible les personnes qui marchent main dans la main, qui s'embrassent en public. Ça continue d'exister. Mais c'est vrai que quand même on a fait un bout de chemin dans la population. Vous avez raison de dire que peut-être que le malaise il est encore très persistant à l'égard des personnes trans et non binaire. C'est comme si beaucoup de personnes perdaient leurs repères. Est-ce que c'est un homme? Est-ce que c'est une femme? Est-ce que c'est un homme qui s'habille en femme? On dirait que beaucoup de personnes sont incapables de sortir de cette binarité et d'accepter une plus grande fluidité ou un assouplissement des codes de genre. Par ailleurs, qui fait souffrir tout le monde, han? Même les hommes du genre hétérosexuel souffrent de cette forme de masculinité très contraignante. Leur dire qu'il faut être fort, qu'il ne faut pas vivre nos émotions, qu'il faut rester stoïque devant l'adversité. 

S. Bujold :      Il faut aimer le hockey.

M. Blais :           Il faut aimer le hockey, il faut jouer au hockey! Bien, ça en fait partie. Ces normes font souffrir beaucoup de monde, incluant les personnes qui parfois les défendent, sans peut-être être toujours conscientes de ce qu'elles défendent. Et c'est la même chose pour certaines formes de féminité qui font extrêmement souffrir les femmes, pour des normes de beauté complètement inaccessibles et inatteignable, par exemple. Alors bien sûr, il semble qu'il reste encore beaucoup de résistance par rapport aux questions de genre et aux questions de  non binarité. Effectivement, je pense que l'ordre des sexes et des genres continue vraiment de servir de sources malheureusement, à beaucoup d’homophobies et de transphobies. 

S. Bujold :      Et pouvez-vous nous parler un peu? Je sais, j'en ai vu beaucoup de données, on a un sentiment de rejet, ou de nom reconnaissance de l'autre lorsqu'on est en interaction avec une personne trans ou non binaire, alors qu'on sait qu'il y a énormément de difficultés sociales : de pauvreté, de rejet, d'accessibilité au travail, difficulté d'accès aux documents légaux. On le voit aussi beaucoup dans la population immigrante, la population qui vient au Canada justement pour fuir la répression. Les gens semblent oublier que oui, il y a une réalité qui n'est pas la nôtre, mais il y a aussi tout un bagage, toute une difficulté à réussir, et cette communauté-là n'est pas la seule, il y en a d'autres évidemment, qui vivent cette discrimination-là, ou cette difficulté-là. Est-ce que vous possédez des données ou des preuves à cet effet-là?

M. Blais :           Oui, en fait, on a plusieurs enquêtes. On a réalisé par exemple la plus grande enquête qu'il n'y a jamais eu lieu au Québec jusqu'à maintenant sur les populations LGBTQ2+. Il y avait presque 5000 répondants dans cette grande enquête, les données ont été colligées en 2019 et 2020. On a des chiffres sur l'accès aux soins de santé, le logement, la discrimination dans le logement. Sur la fondation des familles, les obstacles à la fondation des familles, sur la facilité ou pas à changer de prénom ou de mention de sexe. En fait, la liste est très longue et on a des chiffres sur 1000 choses donc on a 1000 chiffres. C'est toujours un peu compliqué de faire de grandes synthèses. On a aussi des données sur la thérapie de conversion d’ailleurs. 

                            La question, c'est de voir un peu quels sont nos constats. Quand on compare nos données aux données de la population générale, ce que l'on constate c'est que comme groupe les personnes LGBTQ+ font souvent face à davantage d'obstacles. Donc, davantage d'obstacles, davantage de violence, davantage de microagressions qui sont plus l'expression de préjugés ou d'attitudes défavorables, mais quand même agaçantes avec le temps. On voit cette première hiérarchie. Ensuite, quand on plonge dans les données colligées au sein des communautés LGBTQ2+, ce que l'on constate c'est qu'il y a encore des hiérarchies. On constate qu'il y a des groupes qui s'en sortent mieux que d'autres.

                            On le voit en fait, et là c'est le sociologue qui parle, on voit très clairement les effets du sexisme, par exemple. Les hommes gais blancs s’en sortent effectivement beaucoup mieux. Ensuite, on voit aussi les effets du racisme, on voit bien que les personnes racisées, les personnes autochtones ne sont pas à la même place dans cette hiérarchie. Donc les personnes blanches en général ont des indicateurs d'inclusion. Elles sont plus nombreuses à rapporter des facteurs d'inclusion. Elles sont plus nombreuses à rapporter une qualité d'emploi élevée. Elles sont plus nombreuses à rapporter différents facteurs d'inclusion sociale, pas seulement en emploi, mais dans l'usage des services de santé, par exemple, l'absence de discrimination dans la recherche de logement. Donc on le voit, et ensuite, quand on le compare, il y en a d'autres accents. J'ai parlé du sexisme, j'ai parlé du racisme, on peut aussi parler du cissexisme, qui est cet axe… ce système qui divise les personnes cisgenres. Celles dont l'identité de genre correspond à celui qui leur a été assigné à la naissance. Donc, cet axe qui divise les personnes cisgenres et les personnes transgenres et non binaires, celles dont l'identité de genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance. Donc cet axe on le voit également.

                            Les personnes non binaires font face à des obstacles en plus grand nombre que les personnes cisgenres, et ça c'est très clair. Et là, on ne parle pas encore du cumul de ces positions minorisées. Parce que quand on les cumule, la quantité d'obstacles ou les probabilités de faire face à des obstacles augmentent en fonction du nombre de positions. Voilà, exactement, elles s'additionnent et se multiplient, et cela on le voit très clairement dans les données. Et c'est étonnant la constance de ces résultats, peu importe ce que l'on regarde. Le logement, la qualité de l'emploi, le revenu, la précarité socio-économique, la capacité à payer ses factures et boucler ses fins de mois, c'est impressionnant et affolant.

                            La manière dont on le voit dans des données colligées au Québec en 2019, 2020, on pourrait se dire : ah! C'est des affaires du passé! C'est une autre époque, on est tellement inclusif maintenant. Il reste des disparités importantes dans les sous-groupes LGBTQ2+. Il y en a aussi dans la population générale, évidemment le racisme n'affecte pas que la population LGBTQ2+, mais chez elle, pour les personnes concernées, il s'ajoute. Donc, ce racisme s'ajoute à l'homophobie, peut-être à la transphobie et à différents autres axes d'oppression et de discrimination, et pour cela les données sont très claires.

S. Bujold :      Quelle est l’ampleur de cette population au Québec et au Canada si vous avez les données? Je sais que le recensement de 2021 avait recensé plus de 100 000 personnes non binaires et trans. Personnellement, je crois que c'est un nombre conservateur. [inaudible 00:23:12] de personnes dans la grande communauté LGBTQ2S+. Un dernier élément, on voit une plus grande prévalence dans les jeunes générations. Dans les 18-25 ans, on arrivait à près de 1% seulement pour les personnes trans et non binaires. Pouvez-vous nous dire ce que vous voyez dans vos études et dans vos recherches sur la taille de la population dont on parle?

M. Blais :           Ce qui est un peu compliqué, c'est que nos études n’ont pas le même nombre de personnes que les grandes enquêtes de Statistiques Canada ou que l'institut de la statistique du Québec ou des grandes agences de statistiques, elles ne sont pas représentatives. Donc, je ne pourrais pas utiliser, mes données d'enquête pour vous dire quelle est la proportion de tel ou tel sous-groupe dans la population. Mais quand on regarde les données américaines, quand on regarde les données canadiennes et qu'on segmente la proportion de personne 2SLGBTQ+ par exemple, par génération, vous avez bien raison de le souligner, on voit bien que de génération en génération la proportion de personnes qui se reconnaît dans ce grand acronyme augmente et elle augmente beaucoup. Une des raisons pour lesquelles elle augmente, ou une des hypothèses pour expliquer cette augmentation, c'est la disponibilité des ressources culturelles symboliques, sémantiques aussi pour se décrire.

                            Beaucoup de personnes vont dire quand ils découvrent, par exemple, une vidéo sur internet, vont dire : ah mon Dieu! J'ai eu ce sentiment toute ma vie! Je n'ai jamais eu de mot pour le décrire. C'est la première fois que je peux mettre un mot sur ce que je vis. Ça s'appelle peut-être être lesbienne, ça s'appelle peut-être être non binaire, ça s'appelle parfois être transsexuel, ça s'appelle parfois être trans. C'est vraiment cet accès à des ressources culturelles symboliques, sémantiques, des bribes d'histoire auxquelles nous n'avions pas accès. Parce qu’on s'entend que l'histoire des communautés LGBTQ2+, elle n'est pas enseignée dans les écoles. Alors, c'est vraiment à travers des accès informels, qui par ailleurs deviennent de plus en plus grandissants, que ces ressources-là pour se comprendre et identifier ce que l'on est et mettre des mots sur notre expérience deviennent disponibles. 

                            On peut comprendre pourquoi quelqu'un de 65 ans aujourd'hui va dire : moi j'ai fait une transition à l'âge de 55 ans, parce que je ne savais même pas que ça se pouvait avant. Il a fallu rentrer en contact avec des personnes qui avaient une expérience similaire à la mienne, il a fallu que je puisse mettre des mots sur ce que je vivais, que je me reconnaisse dans l'expérience de quelqu'un d'autre, pour pouvoir mettre en place ces démarches, ce processus. Alors, on peut comprendre pourquoi cela est plus fréquent, ça prend de l'ampleur… ça prend de l'ampleur non? C'est-à-dire, pourquoi dans les plus jeunes générations il y a une propension à se reconnaître plus jeune qu’à d'autres époques, se reconnaître plus rapidement et à mobiliser des ressources autour de soi, qui deviennent disponibles.

S. Bujold :      Question pour le sexologue. Quel impact, à votre avis, cela va avoir que les personnes concernées aient l'espace sécuritaire, aient l’espace finalement pour exprimer qui ils sont? Est-ce que c'est positif que les gens ne soient pas contraints de jouer un autre rôle, mais peuvent exprimer leur rôle ou l'identité qu'ils sont fondamentalement?

M. Blais :           Bien… écoutez, l'impact premier c'est que ça sauve des vies. Ça sauve littéralement des vies. Et là je ne veux pas dire que c'est facile pour autant, on va distinguer les deux aspects. Mais ça permet quand même aux gens de vivre une vie plus authentique s’ils le souhaitent. Ça permet aux gens de faire la paix avec quelque chose que la société qualifie de « pas souhaitable et de pas naturel ». Donc, ça aide à faire la paix avec soi, ça aide à se reconnaître aussi finalement comme quelqu'un de… mon Dieu… bien, à la fois extraordinaire à cause des particularités de notre expérience, mais aussi bien ordinaire dans ce que l'on veut. En général, les gens veulent s’épanouir dans leur travail, s'épanouir dans une relation de couple, s'intégrer dans leur milieu, avoir des amitiés significatives, puis c'est assez transversal à l'expérience humaine, ce genre de besoin. 

                            Un des aspects positifs est la capacité à pouvoir faire cela. Le faire d'une manière authentique, d'une manière cohérente avec soi. Le faire avec des personnes qui nous ressemblent, se sentir appartenir à un groupe. Alors, je pense qu’il faut y voir beaucoup de positif quand ça fonctionne et quand les personnes réussissent à trouver autour d'elles les ressources pour pouvoir faire ça. Évidemment, ce n'est pas toujours le cas, donc, il en reste des défis. 

S. Bujold :      Tout à fait, et ça m’amène à un mythe qui est important, c'est que les personnes trans et non binaires cherchent l'attention. Ce qu’ils manifestent, le fait qu'elles sortent des attentes culturelles, c'est pour attirer l'attention. Alors que l'on sait, les gens ne cherchent qu'à se fondre dans la masse et être acceptés. Pouvez-vous nous parler de ce mythe-là?

M. Blais :           J'ai vraiment l'impression que ça revient un peu systématiquement toujours autour des moments historiquement importants. La journée internationale sur l'homophobie, la transphobie et la biphobie, ah! Là on va voir monter ces discours : bon, encore, ils veulent prendre la place, ils prennent la place dans les médias, ils veulent qu’on parle d’eux autres. Autour de la fierté, bon, c'est ça les chars, le monde en [00:29:09] la parade, bon. Alors voilà. C'est de l’exhibitionnisme! Chaque fois on entend ça, en fait. C'est vraiment… on a besoin de ces moments, on a besoin de se reconnaître dans des symboles, des histoires partagées, dans des grands récits qui nous rassemblent. Il faut aussi se rappeler que bien souvent ces moments commémorent des luttes. Donc on n’est pas dans… alors, on célèbre notre résilience et notre capacité à avoir lutté et à être sorti de ces moments difficiles. On a besoin de la célébrer.

                            Quand on appartient à un groupe majoritaire, c'est quotidiennement que l'on célèbre ça, parce qu'on se voit tout le temps. On se voit à la télé, on se voit sur les panneaux publicitaires, tout ce que l'on voit autour de nous nous ressemble. Mais, quand on n’appartient pas à ce groupe majoritaire, il faut les créer ces occasions, il faut les créer ces moments. Souvent, il y a des gens, le groupe majoritaire ou des personnes du groupe majoritaire, parce que ce n'est vraiment pas tout le monde qui réagit négativement, mais il y a des personnes qui disent : ben voyons c'est quoi ça encore? Ben, c'est nous qui célébrons des moments historiquement importants pour nous, c'est tout! Ce n'est que cela, alors cette idée que l'on recherche l'attention, mon Dieu, je pense que beaucoup de gens vivraient très bien sans cette attention, vraiment. 

                            Puis on l’a vu récemment, avec les événements sur les drag queens. Comme les drag queens faisaient leur travail avant, je ne pense pas que personne n’ait envie de l'attention dont elles ont fait l'objet récemment.

S. Bujold :      Ils ont fait un bout de chemin sur un événement volontaire et public dans un endroit x ou les gens sont libres d'y aller ou de ne pas y aller, et de s'opposer à la tenue de l'événement quand même assez fascinant. 

                            Vous avez évoqué une ou deux reprises le terme « thérapie de conversion », donc on sait que cette… on va appeler ça un traitement cruel où un châtiment cruel [00:31:16] criminel, et par plusieurs lois provinciales qui encadrent les thérapies médicales ou psychologiques. Est-ce qu'il y en a encore au Canada des gens qui contraignent, parce que je ne peux pas croire que quelqu'un se soumet à sa volontairement, qui contraignent des membres de leur famille, de leur communauté, ou de leur entourage à ces traitements-là qui visent à changer leur orientation ou leur identité de genre?

M. Blais :           Il y a beaucoup de choses à dire. D'abord dans les données qu'on a pour le Québec on est à 4.5%, 5% de personnes qui ont été impliquées dans des services directs de thérapie de conversion.

S. Bujold :      Ce sont des nombres importants!

M. Blais:           Bien quand même, parce qu'on dit un 5%, c'est quand même comme… 5% c'est une personne sur 20.

S. Bujold :      Des milliers de personnes. 

M. Blais :           Ce n'est pas rien, à chaque fois que vous croisez 19 personnes dans la rue, la suivante a été impliquée dans une thérapie de conversion. Je veux dire, ce n’est pas rien. Si le 5% ne nous convainc pas, on peut aussi regarder d'autres formes. Ça, ce sont vraiment des services directs où il y a quelqu'un devant nous dont l'objectif c'est de changer notre orientation sexuelle où notre identité de genre, ou notre expression de genre. Après ça quand on demande aux gens, est-ce qu'il y a des gens qui ont essayé de changer votre orientation sexuelle, votre identité de genre, votre expression du genre, le chiffre montre à 25 % quand même. Ce sont des gens qui se sont fait dire : tu sais ce serait peut être mieux pour ton avenir, pour la fondation d'une famille, pour te soustraire à la discrimination, d'essayer de changer ça. 

S. Bujold :      Une pression sociale, une pression familiale, culturelle, oui. 

M. Blais :           Ce n'est pas rien quand même. Première chose, les chiffres, une pression sociale, une pression familiale, est-ce qu'il y en a encore? Elles ont des profils différents selon qu'elles ont des orientations sexuelles ou d'identité de genre. Alors l'orientation sexuelle, elle on voit bien que ce qui persiste en fait, ce sont des thérapies de conversion prodiguées par des groupes religieux. Ou des pratiques de conversion, en thérapie ça fait très médical psy, mais ce sont des pratiques aussi. Ça prend la forme d'exorcisme, ça prend la forme de conseil spirituel, de coaching. Ça, c'est ce que l'on voit pour les thérapies qui ciblent l'orientation sexuelle ou les pratiques qui ciblent l’orientation sexuelle.

                            Pour l'identité de genre, on voit que ça vient encore du milieu des professionnels de la santé en grande partie. Parce que pendant longtemps, le fait d'être trans était considéré comme une maladie mentale, la dysphorie de genre était considérée comme un problème, beaucoup de professionnels ont été formés avec cette vision continue de penser comme ça. Donc, ils font des interventions qui plutôt que de soutenir une exploration légitime, saine, vont plutôt faire des interventions qui visent un peu à dissuader cette exploration. La dissuader, ou encore renforcer, comme renforcer la masculinité chez les gars, renforcer la féminité chez les filles. Donc vraiment, c'est ça un peu la forme que ça peut prendre.

                            Ça peut être chez les enfants par exemple, on va la retirer l'amour ou les marques d'affection si les enfants ne se comportent pas de manière conforme au sexe assigné à leurs naissances. Donc, si le petit garçon joue avec des poupées, on va l'ignorer. Si la petite fille ne se comporte pas comme une fille, on va l'ignorer. Dès qu'elle va se comporter comme une petite fille, ah! Là on va lui donner de l'affection, on va la prendre dans nos bras. 

S. Bujold:      C'est une forme de conditionnement, c'est ça?

M. Blais :           Exactement, une sorte de conditionnement, et ces parents-là suivent le conseil de thérapeutes qui leur suggéraient d'agir ainsi. Les parents sont aussi victimes de tout ce système hétérocisexiste de normes. L'autre chose, la moitié des personnes, parce que vous évoquiez le fait que c'était quand même inconcevable que des gens se prêtent volontairement à ces pratiques, la moitié de ces personnes ont consenti à ces pratiques dans notre échantillon. On le voit, et il y a des témoignages qui circulent de personnes qui ont été sujettes à ces pratiques et qui disent : c'est moi qui l'ai demandé. Et c'est moi qui l'ai demandé parce qu'on m'a convaincu toute ma vie que c'était une impossibilité de vivre comme ça. On m'a convaincu toute ma vie que c'était le démon qui m’habitait, que je serais malheureux, que je ne pourrais jamais avoir d'enfants ou fonder une famille, alors que ça fait partie de ce que je souhaite.

                            Donc, on a vraiment, pour ces personnes, créé un contexte qui rendait complètement incompatible une vie bonne et satisfaisante, authentique avec le fait d'être une personne LGBTQ2+. Donc, c'est déchirant quand même de voir ça. Et quand on regarde les motivations de ces personnes-là, c'est avoir un meilleur avenir. C'est dire à quel point les changements juridiques sont importants pour combattre ces types de représentation là. Les protections sont extrêmement importantes sur le plan juridique. Donc, « Je pensais que j'aurais un meilleur avenir », « Je pensais que je ferais plaisir à mes parents ou à mes proches. » «  Je pensais que je pourrais être plus inclus dans ma communauté. » Parce qu'il y a aussi cela, il y a des gens qui sont rejetés. Quand on regarde les chiffres sur l'instabilité résidentielle et l'expérience d'itinérance chez les jeunes, 1/3 des jeunes en situation de rue font partie des communautés LGBTQ2+. Ce n’est pas rien quand même. Il n'y a pas 1/3 des jeunes qui sont LGBTQ2+. 

S. Bujold :      Il y a une surreprésentation?

M. Blais :           Oui, effectivement comme vous le dites, il y a une surreprésentation de ces jeunes-là. Alors évidemment, on ne peut pas dire qu'ils ont été mis à la porte par leurs parents, il y a une partie qui a été mise à la porte par leurs parents, il y a une partie qui ne s'est juste pas sentie accueillie, ou qui pouvait rester dans ce contexte-là. Donc, ils ont été plutôt attirés vers une possibilité de libération, une espèce de… un lieu où ils pouvaient devenir eux-mêmes et ne pas avoir à se cacher et à être réprimé pour faire partie de la famille.

S. Bujold :      Quelles sont les conséquences de cette thérapie-là? Parce que quelqu'un peut penser : si la moitié des gens y vont de façon volontaire, il doit y avoir certains avantages, il y a peut-être des gens qui sont —et je mets des guillemets — guéris de leur condition par cette thérapie-là. Alors qu'est-ce que nous dit la science sur les bienfaits ?

M. Blais :           Il n’y en a pas de bienfaits. Évidemment, en fait c'est compliqué et on le voit dans la littérature scientifique, il y a des gens qui disent qu'il faut faire attention, il y a des gens qui rapportent les bienfaits. Mais c'est quoi ces bienfaits-là? OK, il y a des gens qui rapportent s'être sentis soutenus. Il y a des gens qui… bien oui, on va parler à quelqu'un une fois où plusieurs fois par semaine. Bien oui on se sent soutenu. OK oui, peut-être que cela fait diminuer par moments la détresse qu'on peut vivre. Alors oui, on se confie. Mais ça, on va parler à un ami et ça va faire peut-être un aussi bon travail. En même temps, c'est psys ou ces thérapeutes, ça se peut qu’ils aient des outils pour apprendre à la personne à se sentir mieux. Mais en ce qui concerne l'orientation sexuelle et l'identité de genre, on sait que cela n'a aucun bienfait, que ça ne fonctionne pas, qu’à long terme ça augmente la détresse, que ça détruit l'image qu'on a de soi. Parce que toutes ces approches sont basées sur augmenter la dissonance entre le fait d'être une personne gaie, lesbienne, transsexuelle ou non binaire, par exemple. Augmenter la dissonance entre ce que l'on est et ce que l'on devrait être. Alors que, on veut qu'une thérapie nous aide à nous sentir plus cohérents, plus authentiques et à diminuer cette dissonance entre les messages sociaux qu'on reçoit et ce que l'on est.

                            Donc, c'est de viser complètement à l’inverse et que ça ait des effets à long terme. Il y a même des études qui montrent que la vie de ces personnes, si elles n'ont pas les ressources pour s'en sortir et se reconstruire, elle est écourtée d’une année et demie en moyenne. 

S. Bujold :      C'est significatif. 

M. Blais :           Puis là on parle aussi de personnes dont parfois, et je ne veux pas généraliser, je vais préciser que pour les personnes qui ont subi ces thérapies de conversion, et qu'ils n'ont pas été en mesure de trouver les ressources pour se reconstruire et en sortir, les conséquences sont terribles. D'où l'importance d'abord d'interrompre ces pratiques, de les protéger, de mettre en place des possibilités de réparation et de les soutenir à travers un travail thérapeutique de reconstruction soit de… où elles peuvent enfin développer une cohérence avec elle-même et un sentiment d'authenticité.

S. Bujold:      Merci beaucoup, je croyais avoir de bonnes connaissances sur les thérapies de conversion, mais je suis agréablement surpris par les précisions que vous apportez sur ce sujet-là qui demeure important malgré son bannissement, son interdiction. C'est encore un sujet d'actualité malheureusement.

                            Quels sont les outils? Qu'est-ce que la société doit faire pour continuer sa marche vers l'égalité?

M. Blais :           Le droit est un instrument important, certainement. Je pense que les tribunaux ont montré leur rôle d'alliés, leur rôle essentiel dans la protection des droits fondamentaux des personnes LGBTQ2+. Je pense qu’on voit bien que cela ne suffit pas, souvent même, on va dire que l'égalité sociale est un peu en retard sur l'égalité juridique. Il y a des pays où c'est l'inverse, ici on a quand même la chance de pouvoir au moins s'appuyer sur ces instruments juridiques. Mais je pense qu'il faut encore beaucoup d'éducation, beaucoup de sensibilisation. 

Il faut quand même reconnaître que pour beaucoup de monde il y a une grande confusion avec les enjeux de sexualité, les enjeux de genre. Il faut lever ces confusions, il faut expliquer et sensibiliser les personnes. Il faut aussi favoriser, pas juste le niveau d'éducation de la population générale, mais aussi outiller les jeunes qui, peut-être, seront ou sont des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans. On ne se réveille pas à 25 ans ou à l'âge adulte en disant : ah! Voici je viens de changer de catégorie là. Toutes les données montrent que l'émergence de ce sentiment d'être différent, même si on ne le nomme pas, ça arrive dès l'enfance. Donc, il n'y a pas juste des adultes 2SLGBTQ2+, il y a aussi des enfants 2SLGBTQ2+. Alors il faut aussi prendre soin de ces personnes-là et leur renvoyer une image de leur histoire, des luttes, une image d’eux-mêmes, d’elle-même, d’ielmême, qui soit positive pour favoriser leur développement et les soutenir.

                            Donc, qu'est-ce qu'on peut faire pour soutenir les personnes? Il faut mettre en place toutes les ressources dont on a besoin autour d'elles. Des ressources communautaires qui sont un filet de sûreté essentiel dans un contexte où l'accès aux services de santé est un peu difficile. Donc, le renforcement du réseau communautaire est essentiel, l'éducation est essentielle. C'est vraiment multifactoriel, il n'y a pas « une » réponse ou « un » facteur, je pense qu'il faut une réponse multifactorielle. Le droit est un instrument essentiel, mais en même temps, il n'est pas à l'abri des changements, des réorientations politiques comme on le voit ailleurs dans le monde. Je pense que là, les tribunaux doivent servir de rempart autant que possible.

S. Bujold :      Nous avons heureusement des chartes au Canada qui ont un statut constitutionnel ou quasi constitutionnelle. Rien n'est impossible, mais qui sont quand même des acquis juridiques qui sont très difficiles à enlever et nos tribunaux en sont les gardiens. Et nos juges, qui sont indépendants et impartiaux, peuvent devenir le rempart contre des mouvements sociaux ou des retours en arrière. 

Je regarde le temps, j'aimerais vous laisser la dernière question, est-ce qu'il y a quelque chose que vous auriez aimé partager avec nous pour nos auditeurs qui sont composés de juristes francophones, sur le sujet que vous connaissez et maîtrisez si bien?

M. Blais :           Bonne question. Enfin je suis… je pense que pour tout le monde, il serait utile de se familiariser avec les enjeux LGBT, avec les enjeux juridiques aussi, les détails. Je pense qu’on ne mesure pas toujours l'impact que peuvent avoir certaines lois, qui, de manière globale, ont un impact positif, mais qui, pour des sous-groupes spécifiques, posent des défis. Et ça, peut-être que de se sensibiliser ou de se familiariser avec l'histoire des grandes luttes LGBT, puis les bras de fer aussi avec la loi, peut être une manière de développer une sensibilité particulière à cet égard-là. Puis après, il y a quand même… mais c'est vrai que le temps file, donc on n’aura pas le temps de parler de ça, mais il y a quand même des jugements récents impressionnants, qui sont écrits par des juges qui ont fait montre d'une sensibilité incroyable et exemplaire. C'est le cas du jugement Moore, évidemment, sur la question la… 

S. Bujold :      Center for gender advocacy, oui exact. 

M. Blais :           Oui, voilà, dans cette cause où le juge Moore a fait preuve d'une sensibilité et d'une maîtrise des enjeux exceptionnelle. Plus récemment aussi, le juge [Macia 00:46:14]. J'espère que je prononce son nom correctement.

S. Bujold :      Oui, une affaire pénale oui. 

M. Blais :           Oui, mais wow! C'est quand même incroyable, bien, incroyable c'est pas… enfin…

S. Bujold :      C'est une belle surprise. 

M. Blais :           C'est une agréable surprise, voilà exactement. Qu'un juge reconnaisse que par son comportement un membre du corps policier, si ma mémoire est bonne, l'a forcé en fait à sortir de son silence.

S. Bujold:      Une indiscrétion inappropriée. 

M. Blais :           Voilà. Par des micros-agressions répétées, voire des violences, parce que c'est quand même la police, ce n'est pas notre égal dans la rue. Donc, il a reconnu que ces micros-agressions et que ce traitement l’ont forcé à sortir de son silence, alors qu'il avait tout à fait le droit d'un ne rien dire. C'est quand même, là aussi, faire preuve d'une grande compréhension et d'une grande sensibilité à l'égard de ce qui se passe pour les personnes concernées.

S. Bujold :      Il y a de l'espoir effectivement, la magistrature, le Barreau, tous les membres de la communauté juridique quand même sont intéressés par ces sujets-là et d'importantes mesures de sensibilisation et d'éducation. Il y a un intérêt pour en apprendre plus, ce qui explique qu'il y ait cette sensibilité-là et cette compréhension là des enjeux qui se manifestent par des jugements qu'on pourrait appeler courageux, qui font avancer la lutte vers l'égalité. 

Ce fut une conversation fantastique, enrichissante, passionnante, professeur Blais. Vraiment, je vous remercie d'avoir accepté de vous livrer à cet exercice-là. Je pense que nous aurions pu faire encore deux heures et nous n'aurions qu'effleuré les sujets que vous maîtrisez.. Ce fut véritablement un plaisir de vous avoir avec nous aujourd'hui. 

M. Blais:           Merci beaucoup pour l'invitation, ç’a été un plaisir pour moi également.

S. Bujold :      À bientôt. 

                            Merci de votre écoute. Si vous le permettez je vous recommande aussi de suivre nos autres excellentes chaînes de balado : Droit moderne, avec Yves Faguy le rédacteur en chef du magazine ABC National, et Juriste branché avec Julia Thétreault-Provencher. 

This is Conversation with the president, presented by the Canadian Bar Association.