Conversations with the President

L'honorable Michelle O'Bonsawin

Episode Summary

Entretien du président de l’Association du Barreau canadien, Steeves Bujold, avec l’honorable Michelle O’Bonsawin de la Cour Suprême du Canada.

Episode Notes

Entretien du président de l’Association du Barreau canadien, Steeves Bujold, avec l’honorable Michelle O’Bonsawin de la Cour Suprême du Canada pour marquer le Mois national de l’histoire autochtone au Canada.

Leur conversation couvre les étapes de la carrière de la juge O’Bonsawin et ses premiers huit mois à la Cour suprême, son rôle comme modèle et source d’inspiration pour la jeune génération de juristes au pays, l’importance de la diversité à la magistrature, l’étude de la Professeure Cadieux de l’Université de Sherbrooke sur le bien-être au sein de la profession juridique, le mentorat, et les différences entre les formules de politesse utilisées en Ontario francophone, en Gaspésie, au Nouveau-Brunswick et au Québec.

The Canadian Bar Association : Courting Confidence: Preserving Trust in Judicial Independence (cbapd.org)

Canadian Bar Association - The first comprehensive national study on wellness in the legal profession is published (cba.org)

Episode Transcription

Rep 26

L’indicateur de temps [00:00:00] indique un mot incompris ou incertain. 

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This is Conversation with the President presented by Canadian Bar Association. 

Intervieweur :      Madame la juge O’Bonsawin bienvenue à Entretien avec le président. Je suis Steeves Bujold président de l’Association du Barreau canadien. Quel grand honneur pour moi et pour notre association et nos membres de vous recevoir aujourd'hui.

Invitée :               Pareillement, merci. 

Intervieweur :      Avant toute chose, j'aimerais reconnaître que je vous parle de Montréal, le territoire traditionnel du peuple Kanien'kehá: ka. Montréal a aussi été un lieu de rencontre diplomatique avec d'autres premières nations autochtones et Iroquoien, Algonquin, Algonquin-Anishnaabe, Atikamekw, Huron-Wendat et aussi les Abénakis, votre nation, qui se trouve sur la rive sud du fleuve du Saint-Laurent où j’ai ma résidence. Donc, à chaque fois que je fais une réunion, une conférence à partir des Cantons-de-l’Est, je rends hommage à votre communauté. 

Invitée :               Ah merci!

Intervieweur :      Si vous me le permettez, je vais commencer par une brève biographie. Donc, vous êtes né à Hanmer, qui est maintenant un quartier de Sudbury qui était un village, une municipalité séparée, qui se trouve dans le nord de l'Ontario, très francophone. Vous êtes Franco-ontarienne et vous êtes membre, comme je l'ai dit, de la première nation Odanak qui est située sur la rive est de la rivière Saint-François. Pour ceux qui ne savent pas c'est où, c'est tout près de Sorel, dans la province de Québec. En 1992, vous avez débuté vos études supérieures à l'université Laurentienne, où vous avez obtenu votre premier diplôme Bac en arts, en 1995. Vous avez ensuite été admise au programme français de common law à l'Université d’Ottawa, que vous avez complété en 1998, et vous avez été admise au Barreau du Haut-Canada, c'était alors le nom, en 2000. Vous avez obtenu une maîtrise en droit de la Faculté de droit Osgoode Hall, en 2014 et aussi un doctorat, le dernier niveau d’étude universitaire de l’Université d’Ottawa récemment, en février 2022. Vous n’avez pas peur des défis, alors que vous siégiez à la Cour supérieure de l’Ontario. Enfin, en 2020, vous avez obtenu un certificat d’Abénakis du Middle Perry College. C'est bien celui qui est au Vermont, c'est ça?

Invitée :               Oui. 

Intervieweur :      Au cours de votre carrière d'avocate, avant d'être juge, vous avez travaillé au service juridique de la Gendarmerie royale du Canada, ainsi que la poste Canada où vous vous êtes spécialisé en droit du travail et de l'emploi, droits de la personne et droit de la protection de la vie privée, ce n’est qu’un sommaire. Vous êtes l'auteure de plusieurs publications importantes. En 2017, vous avez été nommé juge à la Cour supérieure de l'Ontario à Ottawa, et le 1er septembre 2022, vous avez été nommé à la Cour suprême du Canada. 

                            Ma première question pour vous, comment allez-vous, Madame la Juge O’Bonsawin ?

Invitée :               Moi, je vais super bien. Je dois dire que je marche encore sur un nuage, même il y a quoi huit mois depuis ma nomination. C'est incroyable encore de penser que je travaille comme juge à la Cour suprême du Canada, c'est épatant. 

Intervieweur :      Et, vous m'avez dit juste avant qu'on débute, que vous alliez me tutoyer durant l'entrevue, donc j'accepte volontiers. Pourriez-vous nous donner un peu le contexte?

Invitée :               Je dois dire, c'est vraiment comique, je sais que tu es situé au Québec et je sais qu’au Québec c'est entre avocats et juges, la pratique c'est de vouvoyer. Par contre en Ontario ce n'est pas nécessairement le cas. Puis, moi j'ai grandi dans le nord de l'Ontario, c'était toujours une chicane entre mes parents quand j'étais petite. Mon père était de la vieille façon, il disait : « On va vouvoyer les aînés. », ma mère disait : « Non, non, nous sommes une famille moderne et on ne vouvoie personne. » Puis, donc c'est ça, j’ai écouté ma mère, et ma pratique a toujours été de tutoyer, tous. Moi, je ne m'attends pas honnêtement d'être vouvoyé, j'ai été élevé d'une telle façon, donc lorsque je tutoie les avocats, ce n'est pas vraiment… à 100%, ce n'est pas par manque de respect, c'est vraiment une question, comme franco-ontarien, ce n'est pas nécessairement la norme. Puis je ne m’y tiens pas. 

Intervieweur :      Alors le contexte est fait et je vous confirme aussi qu’en Gaspésie, et au Nouveau-Brunswick, on retrouve aussi ça dans la langue française, cet usage du « tu » qui apporte une familiarité et une chaleur importante dans les relations. 

Invitée :               Je suis contente d’entendre cette approche-là, parce que tous ne sont pas nécessairement d'accord avec mon approche, mais c'est correct.

Intervieweur :      Voilà, ça fait partie de la diversité. Donc, vous nous disiez que vous êtes toujours sur un nuage. Je vois que c'est positif. Pourriez-vous nous dire comment se passeront vos huit prochains mois, avez-vous trouvé votre rythme et votre air d'aller dans ces nouvelles fonctions là?

Invitée :               Je crois que oui. Je vais être honnête, au début, de septembre à décembre, c'était plus difficile. C'était difficile, parce que moi j'étais habituée, j'entendais des audiences, je rédigeais mes décisions très rapidement. Là, maintenant, c'est vraiment très différent, parce que je suis dans un mariage préarrangé avec huit autres. Donc, une audience et par la suite rédiger les motifs, la circulation, ça prend du temps. Là, je suis en train de travailler sur ma patience, je deviens meilleure. Puis aussi, juste de savoir comment utiliser les auxiliaires. Lorsque j'étais à la Cour supérieure, nous y étions, je ne sais pas, 90, 100, puis nous avions trois auxiliaires. Puis maintenant, j’en ai quatre, juste pour moi. Donc, c'est vraiment quelque chose de différent. Mais j’ai trouvé que les premiers mois sont un apprentissage. Depuis Noël, mon équipe travaille bien ensemble et on a une meilleure idée comment travailler ensemble. Puis moi aussi, je suis meilleure pour m'organiser avec les dossiers, les audiences. Donc, j'ai vraiment fait une belle progression. 

Intervieweur :      Félicitation! Et pouvez-vous justement nous donner un peu plus de détails, je sais que la cour est très soucieuse de communiquer et de démystifier un peu son processus? Donc, sans rien nous révéler de confidentiel, nous parler un peu du processus décisionnel et des obligations que vous avez dans cette cour-là, ce qui n'était pas le cas en Cour supérieure, de discuter et d'échanger sur vos points de vue pour en venir, idéalement, à un jugement unanime, sinon un jugement divisé. 

Invitée :               C'est ça, nous recevons les documents de deux façons, électronique et papier. Moi, je travaille plus de façon électronique, donc je vais réviser mes documents. Par la suite, maintenant que nous avons juste un écran dans la salle de la cour, moi j’étais habitué de travailler avec trois écrans, auparavant, donc, ma façon a changé un peu. Là, je vais imprimer ce que j'ai souligné dans mes notes d'une façon électronique, je vais imprimer une copie papier, parce que je n'ai pas les écrans que j'avais auparavant. Puis, par la suite, une fois que nous avons fini l'audience, on va dans notre salle de délibérés, nous avons une bonne discussion active. Auparavant, il y a quand même un bout, c'était toujours la bébé juge, la dernière arrivée qui parlait en premier. Ce n'est plus le cas. Donc, c'est vraiment selon la levée de main, puis on va suivre la séquence jusqu'à ce que tout le monde ait eu l'opportunité de partager leurs points de vue. Ensuite, nous allons dire si on accueille ou on rejette l’appel, ensuite la juge en chef va demander s'il y a des volontaires, des bénévoles, je devrais dire, pour rédiger la décision. Puis, ensuite comme vous savez, on est sur des séquences de deux semaines, deux semaines. Puis, le deuxième vendredi de notre séquence, le juge en chef envoie le mémo avec l'identification des juges qui sont responsables pour écrire les décisions. 

Intervieweur :      Merci beaucoup. C'est très instructif. Une question que je n'avais pas préparée, avez-vous siégé sur des demandes d'autorisation où là vous jouez un rôle différent? Comment vous trouvez l’expérience?

Invitée :               C'est vraiment différent, tout est par papier, nous sommes regroupés en trois. Moi, je vais réviser avec deux confrères, puis c'est sûr que ça circule par papier. Nous révisons l'opinion juridique, nous recevons les documents qui ont été reçus aussi. Ensuite, par mémo, nous envoyons notre opinion, moi à mes deux confrères. Ensuite, la décision est prise, vraiment c'est partagé de cette façon. 

Intervieweur :      Il y a un élément qui est peu connu, ce n'est pas un secret, mais c'est peu connu, c'est-à-dire que bien au-delà de vos tâches traditionnelles, entendre des causes, de lire la documentation qui vous est soumise, de délibérer et de rendre jugement, il y a un grand nombre d'autres engagements que vous acceptez, les juges de la Cour suprême, et c'est ça vous occupe beaucoup. Je le sais on en a déjà parlé. Pourriez-vous nous dire quels sont ses autres engagements et pourquoi vous acceptez de faire toutes ces autres choses-là au-delà des tâches traditionnelles?

Invitée :               Nous recevons des demandes de partout au Canada. Donc, comme conférencière et toutes sortes de différentes raisons. Moi, je supporte pleinement notre juge en chef Wagner, qui vraiment veut que nous communiquions exactement notre rôle au public. C'est important pour démystifier qu'est-ce que les juges de la Cour suprême font. Puis, pour moi ça c'est quelque chose qui a toujours été important, même quand j'étais à la Cour supérieure. Donc, j'ai maintenu l'allure encore ici. Puis, je vais être honnête, je suis aussi stratégique lorsque je vais accorder et accepter de faire soit des entrevues, différents événements, parler comme conférencière. Parce que je crois que c'est vraiment important que nous soyons au Canada entier d’est en ouest. Pas juste : je viens de l'Ontario, je suis Franco-ontarienne, je suis d’ici. 

                            Pour moi, c'est important, j'ai fait une tournée des universités dans l'ouest, je suis allé au Yukon. La semaine passée, je suis allé dans ma région natale rencontrer différents étudiants des différentes écoles secondaires, même des écoles primaires des 5e années. 

Intervieweur :      Wow!

Invitée :               Puis je donne quand même assez de discours. Puis en Acadie aussi. Mon époux est un Acadien, donc pour moi c'est aussi important d'aller dans l'Est canadien. Donc, je suis consciente de ça. 

Intervieweur :      Bien merci beaucoup, parce que d'avoir accepté aujourd'hui notre invitation, cela participe justement à ce rôle-là de communiquer et de faire connaître votre rôle et les fonctions de la cour. Je peux vous dire que ça a un impact réel, une meilleure compréhension des activités de la cour et du rôle que vous jouez. Une autre question : on dit souvent que le rôle de juge et encore plus celui de juge de la Cour suprême du Canada comporte une obligation de réserve, mais aussi un retrait de la vie sociale qui peut mener à un isolement. Mais, je sais aussi qu'il y a une culture forte de camaraderie, de solidarité, d'accueil de l'autre côté du rideau. Pourriez-vous nous en parler de cela?

Invitée :               Ça, je dois dire que ça a commencé même avant que j'arrive à la Cour suprême quand j'étais à la Cour supérieure. C'était quand même quelque chose qui était courant, parce que beaucoup de tes connaissances, disons qu'avant tu allais dîner avec tel avocat, ou une telle avocate, dans un endroit ou tu faisais des dossiers à l’encontre, ou quoi que ce soit, ces gens-là, tu ne vas pas nécessairement aller dîner avec eux dorénavant. Parce que, ils peuvent comparaître devant toi. Là, qu'est-ce qui arrive c'est, par exemple, une de mes meilleures amies comparaissait devant moi, j'ai dû la mettre sur ma liste de conflits. Donc, ça avertissait la cour que lorsque cette personne avait un dossier, elle n'avait pas le droit de comparaître devant moi. Puis, à la Cour suprême, c'est à un autre niveau. Je suis vraiment chanceuse par contre, parce que mes amitiés proches sont des amis de longue date et de l'enfance et aussi de droit que j'ai gardé vraiment proche de moi. Et aussi, il y a d'autres amis que nous avons faits par l'entremise des compagnons d'école de mes enfants, ça, on a un petit cercle d'amis qui est vraiment quand même solide. 

Puis aussi, comme tu viens juste de le décrire, ici à la cour il y a une belle camaraderie. J'ai été vraiment très bien accueillie, je me sens vraiment chanceuse. 

Intervieweur :      Vous ne vous sentez pas trop isolée? On nous dit que les semaines où il n'y a pas d'audition votre édifice est immense, il n'y a pas d'avocats. Donc vous avez quand même retrouvé une famille, une camaraderie?

Invitée :               Oui, puis moi la différence peut-être avec les autres, c'est que moi j'ai vécu à Ottawa, donc, je ne suis pas déménagé ici à Ottawa. Ma vie était déjà faite ici et ma maison est ici, mon époux, sa pratique est ici, nos enfants. Donc, on n'a pas eu à déménager ailleurs pour joindre la Cour suprême. Donc, je me compte vraiment chanceuse de ne pas avoir eu à vivre cela comme les autres. 

Intervieweur :      C'est effectivement un enjeu pour les avocats ou les juges qui considère la Cour suprême, le fait de devoir être déraciné et de changer de ville et de vie, à une époque où on est à la 2e moitié de sa carrière. Cela peut représenter un défi important. C'est vrai, vous n'avez pas eu à subir cela. 

                            Je veux que l'on change de sujet, je veux que l'on parle de la santé mentale, Madame la Juge O’Bonsawin. Je sais que c'est un sujet qui vous tient vraiment à cœur, vous avez travaillé dans ce domaine-là, vous avez publié, je vous ai entendu en conférence aussi et vous êtes une championne des saines habitudes de vie et d’en parler. Au moment d'enregistrer cet épisode-là, de balado, nous sommes dans la Semaine de santé mentale au Canada. Donc, c'est particulièrement pertinent et je sais aussi que vous connaissez les données qui ont été recueillies dans l'Étude nationale sur le bien-être psychologique des juristes, publiée par la professeur Cadieux de l'université de Sherbrooke, que l'Association du Barreau canadien et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada ont commandité et commandé. Une des données les plus troublantes, révélées dans cette étude-là, c'est que d'une part, je nous inclus là, nous tous la communauté juridique, nous souffrons énormément de problèmes de santé mentale. De l’autre côté, il y a une hésitation importante, plus de la moitié des gens qui ont été sondés, c'est plus de 7 000 juristes, hésitent énormément à aller chercher de l'aide. Il y a un grand tabou qui existe. C'est une grande question que j'ai pour vous. Quelles sont les causes de tout ça? Ensuite, on parlera des solutions, selon vous. 

Invitée :               Par exemple, lorsque j'ai commencé à pratiquer dans l'année 2000, on ne parlait pas de santé mentale, quelqu'un dans le milieu du travail avait des problèmes de santé mentale, était absent, l'employeur disait : OK, prends tes médicaments et vient travailler. Donc, il n’y avait vraiment pas de bonnes connaissances de comment traiter avec des employés qui avaient besoin des méthodes pour les accompagner. Parce que ce n'est pas évident, pour certaines personnes, d'avoir un rythme plus régulier de travail, etc. Mais, j'ai trouvé lorsque j'ai joint un service juridique du Centre Royal, les choses se sont vraiment éclaircies pour moi. Parce que, là il y a eu Bell Let’s Talk, les gens on commençait à en parler. Auparavant, il y avait vraiment une honte à parler du fait que la personne souffrait des effets de la santé mentale. 

Intervieweur :      Mm... mm...

Invitée :               Puis, j’ai vraiment vu un épanouissement. Souvent, je vais parler, comme tu viens de le mentionner, comme conférencière au sujet de la santé mentale et son impact sur nos vies. Là maintenant on en parle, 50% de notre population souffre d'un effet de santé mentale. Que ce soit nous-mêmes, nos frères et sœurs, parents, nos enfants, membres de notre famille, des collègues on est tous touchés soit directement ou indirectement. Le plus qu’on en parle, le mieux que cela va être et le plus que les gens vont se sentir à l'aise d’en discuter. Donc, pour moi, c'est vraiment important d'être championne et d’en parler pour que les autres puissent savoir : OK, ce n’est pas du tabou, ce n’est pas quelque chose qui doit être caché. 

Intervieweur :      J’en profite pour vous remercier, Madame la Juge O’Bonsawin de le faire. Puisque je crois beaucoup qu’une partie de la solution c'est de créer un espace pour que les gens puissent s'exprimer. Il y a beaucoup de situations, si les gens demandaient de l’aide plus tôt, ils pourraient obtenir un meilleur résultat et obtenir des soins et des services qui sont disponibles. À l'inverse, quand on attend trop tard, on se retrouve parfois dans une situation difficile qui peut être et irrémédiable. Est-ce que vous auriez des conseils pour les juristes? Surtout pour les jeunes juristes : comment bien prendre soin de leur santé mentale? Question difficile. 

Invitée :               Une des choses que je faisais lorsque j’étais au Royal dans les dernières années, c'est : comme avocate, je ressentais toujours le besoin, il faut toujours que tu sois au bout du fil. Puis maintenant, avec la technologie, il y a les courriels, les textos, le téléphone sans cesse. Lorsque j’étais au Royal ce que je faisais, c'est : les courriels, après 6 heures je disais à mes clients « je ne réponds pas à personne. » Je continuais à lire les courriels, les textos, etc. Puis ce que je faisais, je rédigeais souvent mes répliques, mais je ne les envoyais pas. Je faisais des ébauches. Le lendemain matin à 8 heures, j'envoyais tout ça. Mes clients savaient : « Michelle ne va pas répondre après 6 heures, parce qu'il n'y a jamais rien d'urgent après 6 heures. » Vraiment, il n’y a pas rien. La cour, le tribunal n'est pas ouvert, ce n’est pas comme si quelque chose de désastreux va arriver. Il y a des exceptions, mais règle générale, c'était vraiment rare que je réponde à des courriels après les heures de travail. Vraiment 6 heures, c'était ça mon heure limite.

                            Aussi, j'essayais de faire de l'exercice, faire du sport, passer du temps avec ma famille, et aussi du temps pour moi-même. Donc, je suis artiste, j'aime peindre, et pour moi ce sont des choses qui me donnent une perspective. Prendre soin de moi-même aussi, je trouve que ça aide beaucoup.

Intervieweur :      Vous avez raison, puis rejoignez les propos du juge Gascon, vous ne vous êtes pas croisé à la cour, mais il a aussi accepté notre invitation. Il a parlé énormément de l'importance de déconnecter, de  pouvoir se reposer, et de ne pas être constamment déranger et ramener dans le stress du travail par les communications électroniques qui sont multiples après les heures du travail. Je crois moi aussi de façon importante à ce principe-là. Un peu comme un appareil électronique qu'on laisserait toujours en fonction qu'on essaierait de le recharger en même temps, c'est difficile de pouvoir recharger si toutes les applications et les fonctions sont maintenues en tout temps. Quels sont les comportements que les avocats et juges devraient cesser de faire, selon vous, qui n’aident pas à la santé des juristes?

Invitée :               Bien, premièrement, c'est juste d’avoir le téléphone comme extension de la main. Des fois, c'est ça, ma grand-mère quand j'étais plus petite, elle me disait : « tu sais quand quelque chose qui colle, c'est comme un champignon, ça grandit et ça colle. » C'est pareil avec le cellulaire. C'est d'essayer de faire la déconnexion. Puis je dois dire, mon époux écouterait ce balado et il dirait : « Michelle tu n'es vraiment pas bonne à le faire des fois. » Donc, je ne suis pas la femme parfaite loin de là. Mais essayer d'être conscient de ce fait-là, ça aide.

Intervieweur :      Est-ce que les juges sont épargnés dans les statistiques que l'on voit dans l'étude nationale? Sentez-vous à l'aise de répondre à cette question-là. 

Invitée :               Je dirais probablement, absolument pas. Les systématiques sont vraiment globales, ça s'applique à tous et à toutes. Moi, je connais plusieurs personnes qui souffrent d’anxiété et de dépression, qui travaillent dans notre milieu. Ce ne sont pas juste des avocates et avocats, ce sont des juges. Ça touche vraiment… ça ne fait pas de différence à quel palier ou à quel niveau que nous sommes, ça touche tout le monde soit direct ou indirectement.

Intervieweur :      Donc, la solution doit venir d'un dialogue de tous les acteurs du système judiciaire. J'aimerais vous amener sur un autre sujet important qui vous tient aussi à cœur, je le sais : la diversité à la magistrature. Mais avant, peut-être de reculer un peu et de dire à nos auditeurs ce qui vous a intéressé au droit au départ. Vous étiez une jeune femme, vous aviez complété déjà un baccalauréat à l'université Laurentienne, là vous vous lancez dans les études du droit. D’où vous venait cet intérêt? 

Invitée :               Moi, c'est vraiment drôle, je me suis souvent fait poser cette question. Ma réponse est toujours la même, c'était inné. Dans ma famille, je ne viens pas d'une famille de professionnels, pas d'avocats, pas de médecins, etc. Mon père était mineur, mes oncles étaient des mineurs, c'était vraiment de classe moyenne. Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas. Je sais juste qu’à l’âge de 9 ans, j'ai décidé que j'allais être avocate, et j'en ai fait l'annonce à mes parents. 

Intervieweur :      Wow!

Invitée :               Puis, ça y est, c'est ça que c'était. 

Intervieweur :      C'est quand même tôt!

Invitée :               Oui! Je ne sais vraiment pas pourquoi. C'est ça que c'était. 

Intervieweur :      C'était une bonne idée puisque ça vous a amené à des sommets de la profession juridique. Pourriez-vous partager avec nous des défis et des obstacles que vous avez rencontrés dans votre carrière juridique et que vous aimeriez partager? Puis aussi, les alliés, les mentors, les gens qui vous ont aidé dans ces défis-là?

Invitée :               J’ai commencé en droit du travail, j'étais jeune et j'avais l'air jeune. Donc, ça c'est un défi en soi d’avoir l’air jeune. Parce que des fois dans les milieux industriels, la petite jeune qui arrive… il y a parfois un manque de respect. J'ai trouvé ça difficile au début de ma carrière. Mais avec le temps, les connaissances, comment gérer les gens, j'ai vu vraiment une amélioration. Puis aussi avec le temps, j'ai eu le respect de ces gens-là. Donc, ça s’est beaucoup amélioré j'ai vraiment beaucoup aimé le droit du travail. À part de ça, mais il n'y a pas quelque chose de particulier, quelque chose de néfaste qui m'est arrivé, j'ai été vraiment chanceuse. Puis j’ai été vraiment bien entouré, tout au long de ma carrière j'ai eu des mentors exceptionnels à tous les niveaux. Ç’a commencé au secondaire avec une enseignante exceptionnelle Claire Fournier. Elle m'a toujours supporté. 

                            En passant, une petite anecdote, la journée de ma cérémonie de bienvenue le 28 novembre, je l’avais invitée, puis elle m’a apporté un morceau de papier. J’ai ouvert le papier, puis c'était avec mon écriture, en 11e année, elle nous avait tous demandé de rédiger une page pour dire qui nous étions et qu'est-ce qu’on voulait faire comme carrière. Puis j’ai parlé de moi-même et je voulais devenir avocate, puis imagine toutes ces années-là plus tard, elle m’a redonné cette lettre. C'était exceptionnel. 

Intervieweur :      Elle l’avait conservé. 

Invitée :               Oui, donc, il y avait elle et quand j’étais à Poste Canada, moi le droit du travail ce n'était pas quelque chose que je m'y connaissais, donc, John Devine et Phil Dempsey , m’ont pris sous leurs ailes. Lorsque je suis arrivé au Royal, la santé mentale encore, puis qu'est-ce que je veux partager avec les avocats et avocates, c'est que ça ne fait pas de différence à quel niveau nous sommes dans notre carrière, si on change de milieu c'est toujours important de se trouver un mentor qui peut vraiment nous initier et nous apprendre. Parce que moi, en santé mentale, c'était de l'inconnu. Donc, quelqu'un de BLG  Barb Walker Renshaw, même chose. C'était quelqu'un que j'ai beaucoup appris d'elle. 

Puis lorsque j’étais vraiment à un endroit où je n’étais pas sûre : est-ce que je finis mon doctorat, est-ce que je le continue, j'avais commencé mon doctorat avant d'être nommé juge, j'ai pris une pause pour quelques années et là je doutais : est-ce que je retourne? J'avais écrit à notre ancienne juge en chef Beverly McLachlin que je ne connaissais pas super bien, mais je me suis dit, je vais m’essayer. Je lui ai envoyé un courriel pour lui demander ses conseils, elle m'a donné vraiment des bons conseils. C'est vraiment elle et ses conseils qui m'ont amené à retourner et à compléter mon doctorat dans les trois dernières années que j'étais juge à la Cour supérieure. 

Ce que m'a vers Mary St-Claire qui était exceptionnel comme mentor. Il ne faut pas que j'oublie ma famille. En premier lieu, mon époux m’a supporté tout au long de ma carrière, même lorsque nous étions jeunes étudiants en droit et mes parents et ma grand-mère tout au long de ma vie. Donc, j’ai été vraiment bien entouré et je me sens vraiment exceptionnellement chanceuse d'avoir eu ces gens-là dans ma vie. 

Intervieweur :      Merci beaucoup de partager ces anecdotes et éléments-là de votre vie personnelle, c'est très précieux et je suis convaincue que nos auditeurs vont adorer. Je crois moi aussi que ça prend… il ne faut pas avoir peur de demander de l'aide et de demander à ceux qui ont passé avant nous et qui en savent un peu plus que nous, de nous partager leurs trucs du métier. Ça fait une grande différence dans notre succès. Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser, à un certain moment de votre carrière d'avocate qui allait très bien, à la magistrature?

Invitée :               Lorsque j’étais en droit, dans notre cours de législation en première année, quelqu'un du Bureau du commissaire était venu. Je ne me rappelle pas si c'était commissaire ou quelqu'un de son bureau, mais elle nous a expliqué comment on devenait juge. Les prérequis : avoir 10 ans de service comme avocate, avoir une bonne réputation, etc. Par la suite, à la fin, quelqu'un a demandé : « c'est qui la candidate parfaite? » Puis, il a répondu : « une femme bilingue autochtone. » J’ai pensé : « Oh my God! C'est moi! » Je n’aurais jamais même pensé d’avoir un futur possible comme juge. Et c'est vraiment là où ç’a commencé. Puis, lorsque je suis devenue avocate, je me faisais des plans quinquennaux. Aux cinq ans je faisais une révision, où j’étais dans ma carrière et où je voulais aller. Avec le but ultime espérant un jour, je me disais : « dans ma cinquantaine, avec un petit peu plus de cheveux blancs, d'être juge. » 

Donc, lorsque j'ai eu 42 ans j'ai été approché et on m'a demandé si j'étais intéressée de faire la demande à Ottawa, par quelques juges que je connaissais et d’autres gens. Je n'étais pas certaine. Est-ce qu’à 42 ans c'était le temps propice? Puis vraiment j’ai eu un bon support. J'ai fait la demande en octobre 2016, puis c'est ça. Dans le mois de mai 2017, je venais juste d’avoir 43 ans, puis j’ai été nommé comme juge à la Cour supérieure. C'était quand même… comme un rêve pour moi absolument. 

Intervieweur :      C'est une belle réalisation. Donc, le commissaire a semé en quelque sorte une graine qui a germé et qui vous a suivi dans votre esprit tout au long. De là l'importance d'aller à la rencontre, finalement, de tous les candidats, d'ouvrir la porte et de créer cette possibilité-là dans l'esprit des étudiants en droit, parce qu'on voit que ça peut avoir un impact. 

                            Je change de sujet. J’ai eu le privilège de vous entendre l'automne dernier l'art de la réunion annuelle du Barreau autochtone à Montréal. J'ai été témoin, j’ai vu l’émerveillement dans les yeux des jeunes juristes autochtones, de vous voir comme modèle de toute une communauté et j'ai vu la fierté. Je les ai vu échanger avec vous aussi dans les médias sociaux. Il y a eu plusieurs publications, c'était vraiment un événement heureux, et je peux seulement imaginer l’impact positif que vous avez sur leur parcours professionnel. Je me permets de vous demander, de votre côté, est-ce que vous avez réalisé, lors de la réunion annuelle, l'impact que vous avez? Et comment vous vous sentez d’être le modèle de plein de jeunes juristes autochtones et non autochtones, vous êtes un modèle pour plusieurs personnes. Donc, comment on se sent? 

Invitée :               Une grande fierté. J'espère avoir un impact positif sur la vie des autres. J'espère inspirer les gens pour que… surtout les jeunes filles qui viennent d'un endroit, dans le Nord comme moi, qui viennent d'une première nation isolée, d'un endroit défavorisé comme d'autres. C'est juste que n'importe qui peut s’y rendre, la persévérance et un bon support, et le vouloir. J'ai vraiment vu l'impact à cette conférence. Cela m'a grandement touché, toutes les jeunes femmes qui sont venues, les jeunes hommes aussi qui sont venus me parler de leur parcours. Aussi, qu’ils puissent voir que quelqu'un comme nous, on peut se rendre à ce palier-là à la Cour suprême. Donc c'est vraiment pour moi une grande, grande fierté. 

Intervieweur :      Je n’ai pas de statistiques, mais j’ai été moi-même émerveillé, impressionné, de la jeune génération de juristes. J'ai vu un grand nombre de jeunes juristes autochtones de différents milieux, de différentes provinces, il me semblait y avoir une grande vivacité et une grande relève. Je ne sais pas si vous voulez vous exprimer sur ça et sur l'avenir des communautés et de leur représentation. Donc, la possibilité de pouvoir aussi se faire représenter par des gens de leur communauté, ce qui me paraît très important aussi.

Invitée :               Comme personne autochtone, parce que nous reconnaissons tous que l'éducation est vraiment la clé et la clé du succès. Puis, on le voit beaucoup. Les gens qui vont partir des Premières nations pour s'établir dans les grandes villes, pour aller soit au collège ou à l'université, pour acquérir cette connaissance, l’apprentissage et ces expériences de travail là, puis pour s’épanouir. Donc, je le vois. Puis j'étais vraiment émerveillée de voir le grand nombre de jeunes à cette conférence, pour moi c'était exceptionnel. Puis je me sens vraiment entre bonnes mains avec les générations qui s'en viennent derrière nous.

Intervieweur :      C'est très très très positif. Est-ce que vous auriez des conseils à leur intention et à l'intention de tous les jeunes juristes au Canada?

Invitée :               Je vais donner les deux conseils que Phil et John Devine m’avaient partagé, c'était deux choses. La première, et ça je le partage avec tous ceux avec qui je fais du mentorat, c'est : avoir une bonne réputation. Nous avons seulement une et il faut la garder et s’assurer qu’elle est bonne. Donc, aux plus jeunes, je dis constamment, je le dis souvent à mes enfants et des fois ils roulent les yeux, mais quand même, avec toute la technologie il faut être conscient de ce que l'on écrit, ce qu’on émet sur internet. Parce que je leur dis tout le temps, plus tard, quand on va postuler pour quelque chose, ils vont vérifier : c'est qui? Qui es-tu? Qu'est-ce que tu as fait en ligne? Es-tu une personne noble? Es-tu sage? As-tu une bonne intégrité? Ou es-tu quelqu'un de négatif? Être vraiment conscient, surtout les jeunes avocats et avocates qui commencent, parce que des fois, on est dans des milieux qui sont combatifs, c'est pas facile. Puis des fois d'être négatif c'est plus facile que d'être une personne positive. Mais de garder en tête que notre intégrité nous l’avons juste une fois et une fois qu'on l’a perdue, c'est vraiment perdu pour toujours. 

Donc, d’être vraiment conscient de comment on transige avec tout le monde. Ceux qui sont de l’autre côté, mais aussi nos collègues, même les membres de notre cercle et de notre milieu de travail. L'autre chose pour les plaideurs, c'est vraiment le dossier quand tu vas le préparer, prépare-le comme si c'était ton premier. Ça, ça veut dire : connais tous tes faits, connais tous les arguments, connais les arguments et les contres-arguments. Connais tes faiblesses, soit prêt à y répondre. Parce qu’au début, on a moins de connaissances comme avocat ou avocate, mais le plus quand se prépare et que l'on connaît le dossier ça nous met dans un avantage. Tandis que si on n’est pas prêt et qu'on ne connaît pas le dossier, bien le désavantage est vraiment clair. Donc, ce sont vraiment les deux conseils que je partage très souvent avec les débutants et les débutantes.            

Intervieweur :      Je vous remercie beaucoup Madame la Juge O’Bonsawin ce sont d'excellents conseils que je reçois également. Ils sont bons pour tout le monde. Je pense qu’on approche du temps que nous avions, est-ce que vous avez un mot de la fin ou quelque chose que vous aimeriez partager avec nos membres et nos auditeurs? 

Invitée :               J’aimerais juste remercier tous ceux qui m'ont supporté, j'ai été tellement chanceuse avec ce processus, parce que ce n'est pas facile de passer à travers cette demande. Puis, j'ai été vraiment encouragé et supporté et je veux remercier ceux qui écoutent, qui m’ont lancé des mots positifs. Parce que des fois, c'est pas toujours positif ce que l'on entend. Puis, je suis vraiment reconnaissante, puis je suis vraiment fière d'être ici, mais c'est les gens qui m’ont entouré, qui m’ont supporté, qui m’ont permis d’être ici. Je ne suis pas arrivé à la Cour suprême toute seule. Puis, je veux juste que… être consciente de ce fait-là et de vous remercier tous et toutes. 

Intervieweur :      Je vous remercie Madame la juge O’Bonsawin, je n’oserais pas vous tutoyer, pour qui vous êtes, pour avoir accepter aussi cette charge importante qui est lourde et qui demande d’énormes sacrifices et qui continent d’en demander. Puis vous êtes là aussi pour de nombreuses années, je l'espère. Et vous jouez un rôle important, comme on l'a dit, vous êtes un modèle pour un grand nombre de Canadien et de Canadiennes. Je tiens à vous remercier au nom de notre association et de nos membres, et enfin d'avoir accepté de nous parler pendant quelques minutes aujourd'hui. C'était une discussion passionnante, intéressante et j'ai bien hâte que nos auditeurs puissent l'entendre.

Invitée :               Merci, ooh lee ooh nee (Abenaki expression of gratitude)

Jingle :                 This is Conversations with the President, presented by the Canadian Bar Association.